Les Delage, précurseurs par tradition (chapitre 2/2)
21/07/2014
Depuis six décennies, l’élevage Delage produit des performers au meilleur niveau en plat comme en obstacle à partir de souches Anglo-Arabes. Cet élevage traditionnel fut l’un des précurseurs du 12,5% et s'est souvent basé sur des étalons très personnels et surprenants... Par Adrien CUGNASSE.
Sarako a été l'un des meilleurs fils de Graveron. ce vainqueur de multiples Grands Cross dont le Grand Cross de Craon a comptabilisé plus de 294.000€ de gains, primes incluses
Splendeur, perle de l’Anglo-Arabie:
Jean Delage se souvient : « J’avais vu courir SPLENDEUR (50% par Ba Toustem Arabe) de l’élevage de Monsieur Parreau-Delhote. Elle était bonne car seconde de PETITE FEE dans le Grand National. J’ai pu l’acheter lorsqu’elle a eu l’âge de 16 ans parce qu’elle avait la réputation d’être méchante. Elle n’a jamais posé problème chez nous ». Outre l’accessit dans le Grand National, la carrière de SPLENDEUR fut remarquable avec pas moins de 8 victoires dont le Prix de l’élevage (devant PERDALIAN), le Castelbajac et l’Omnium.
Avant d’intégrer l’élevage Lubersacois SPLENDEUR avait déjà produit SPLENDIDE (d’où SAFIR, SIXTEES, SAMARRA D’OC, MONPILOU, SYNAPTIQUE...), SARLANDE (mère d’ALBERT DU BERLAIS) et DILECTA que nous retrouverons plus tard.
Pour le compte de Jean Delage, SPLENDEUR donnera NEFTASSA (Mad Captain) qui a laissé une bonne descendance. Petite mais agile et courageuse NEFERTAR (fille de NEFTASSA) fut une championne en Cross Country d’où 167.000 euros en 10 victoires et 17 places. Elle a notamment gagné les Prix Jean Granel (2 fois), Elie de Malet (3 fois), et Pierre Rivière d’Arc (2 fois). KAMILLA (petite fille de NEFTASSA) a gagné le Grand National, le prix de la Fédération, le Grand Prix de Vignetta et fut seconde du Grand Prix des Anglo-Arabes. Son frère NOUNCHO (Ramouncho) s’est quand à lui imposé dans le Grand National et le Prix Roger Crouzillac. Il fut par la suite très régulier sur le circuit Corse où il fait à présent la monte.
Achetée chez Guillaume Macaire, DILECTA était une fille de SPLENDEUR née avant l’acquisition de cette dernière. Bonne jument de course (cinq victoire, dix-sept places) elle sera la mère de GRAIN DE SABLE. Ce fils de Graveron s’est imposé à douze reprises en Cross Country dont les Prix Jean Granel (trois fois), Elie de Malet (3 fois), Rivière d’Arc, Nikanor (2 fois)…il a dépassé les 200.000 euros de gains.
Son propre frère ILBARRITZ fut particulièrement régulier avec six victoires et onze places en dix-neuf sorties dont troisième du Ministère et l’Omnium, deuxième du Prix Émile Lestorte, deuxième du Prix de Cazanove, deuxième du Prix André Valat… il est le seul fils de Graveron à faire la monte. Ce pur sang fut en effet l’étalon marquant du haras.
Ilbarritz (ci-dessus) est le père des bons Dalhousie, Cephorus, Ritz de la Rue, Sarto, ....
Graveron, le guerrier devenu étalon
En provenance de l’écurie De Balanda, GRAVERON fut confié par ce dernier à Pierre-Jean Delage. Très dur (soixante douze courses, huit victoires, vingt neuf places), ce guerrier de handicap a couru Groupe 1 en Turquie (quatrième) mais son fait d’arme reste sa troisième place sur 1600 mètres dans une Listed à Longchamp. Ce cheval de vitesse qui fut rallongé au cours de sa carrière a transmis sa dureté et son cœur énorme. Peu soutenu en dehors de l’élevage Delage, il n’a eu que trente trois produits en épreuves publiques mais on lui doit SOLDATINO (JCB Triumph Hurdle, Groupe 1 à Cheltenham), MISTER NO (quinze victoires, quatorze places, troisième Prix Durtain Listed), GRABELS (Prix du Bourbonnais, second du Prix Durtain Listed) et troisième du Prix Miror Listed), ILBARRITZ (voir ci-dessus), SARAKO (deux fois champion de France de Cross Country), GRAIN DE SABLE (grand gagnant en cross country)…
Faidaise, la mère de Grabels, un double placé de Listed à Auteuil et Enghien, lauréat du Prix du Bourbonnais et 2e du Prix Jacques de Vienne
Le développement d’une activité étalonnage au sein de l’élevage correspond à la transmission de l’exploitation du fondateur à son fils Pierre Jean Delage en 1980. Les vaches disparaissent, l’élevage s’agrandit et GRAVERON ne sera bientôt plus le seul à faire la monte sur place. Au fil des années il sera rejoint par SPUD, PRINCE WO, MISTER MAT, LE FASTABIBI… des chevaux solides et courageux avec des références en plat, tout en ayant pour la plupart fait preuve de dureté au cours de longues carrières.
Pierre Jean Delage (en doudoune rouge)
Le développement commercial de l’élevage
C’est par l’intermédiaire de Monsieur Etchebest (garde des Haras Nationaux, personnalité hippique très connue en Limousin, père de l’entraineur basé plus au Sud) que Jean Dasque, Guillaume Macaire et Jehan Bertrand de Balanda arrivèrent à Lubersac. Avec ces entraineurs et leur carnet d’adresse (dont Robert Fougedoire, Guy Petit, Jérémy Maxwell...) l’élevage va prendre de l’ampleur. Pour ces derniers Pierre Jean Delage élèvera des dizaines de poulains qu’il recevait au sevrage et gardait jusqu’à leur départ au débourrage. Les chevaux acquis par la clientèle un peu partout en France bénéficient de la surface que leur offre les herbages Lubersacois.
L’accroissement du nombre de naissance et la spécialisation obstacle de l’élevage se traduiront par une ascension rapide au palmarès des éleveurs Français : onzième en 1993, neuvième en 1996 et sixième en 1998. La qualité des souches Anglo-Arabes alliées à un environnement professionnel ont donc fonctionné à plein régime pour atteindre le top ten des élevages Français.
Très proche de Jean Dasque, Pierre Jean Delage apprendra beaucoup de ce grand homme de cheval, ancien cavalier olympique de sports équestres, qui fut un entraîneur reconnu pour sa science du dressage des chevaux d’obstacle. Ils achèteront ensemble MISTER MAT, une gravure issu d’une souche Aga Khan, pour en faire un étalon. Il sera revendu en Irlande grâce aux performances de son fils MISTER BANJO.
Le très beau Mister Mat, double lauréat de Listed et placé de Groupe, né en 1987 par Matahawk, a été étalon pour la maison Delage
De Matines à Mister Banjo
Ce MISTER BANJO (12,5% par Mister Mat et Migre par Le Gregol) commenca à faire parler de lui lorsqu’il fit le record des ventes de Doncaster à 43.000 guinées. Il s’imposera par la suite dans le Finale Junior Hurdle (Chepstow, Gr.1) et le Finesse 4 Year Old Hurdle (Cheltenham Gr.2) puis sera second Byrne Bros Cleeve Hurdle, (Cheltenham Gr.1).
MISTER BANJO provient d’une toute bonne souche Anglo-Arabe crée par Jean de Laurière, célèbre éleveur et marchands de chevaux de sport mais aussi père de Thierry de Laurière. La jument de base MATINES, soeur utérine de KLAIRON (Poule d’Essai des Poulains Gr.1, Prix Jacques Le Marois Gr.1) avait couru à haut niveau (gagnante du Handicap d’Eté Listed, deuxième du Prix de l’Elevage Listed). A partir de cette jument Pur Sang s’est développé une remarquable souche dont les meilleurs représentants sont GEISHA (Gran Premio Memorial Duque de Toledo Listed), SPIRIT ONE (Arlington Million Gr.1), SALSALAVA (Prix Policeman Listed, Prix des Sablonnets Listed), SALSALAVIE (Prix du Haras de la Huderie Listed)...
Croisée avec le raceur Thalian (d’où un inbreed 2x3 sur Micipsa), MATINES donnera MIGUELINE qui est à la base de la branche Anglo-Arabe de cette souche. Coté Anglo, outre MISTER BANJO (12,5%), se sont distingués dans la descendance de MATINES: MISTER BOUM (25% par Le Criquet, Prix Challenge de Haies des 4 Ans Listed, troisième du Prix Melanos à Auteuil Listed), MIGUELITTO (12,5%, second du Grand Steeple chase de Lyon Listed, troisième du Prix Lutteur III Listed à Auteuil)...
La famille de Matea Lambern
La souche de BALIZE, en provenance de l’élevage de Madame de Palaminy, est un autre exemple de famille “peu connue” ayant fait école à Lubersac. Née dans le Sud Ouest cette soeur de BRULE TOUT (CSI pour l’Espagne, un temps recordman du monde de saut en longueur) était issue du croisement COR DE CHASSE sur DENOUSTE, le même que la célèbre FLORE de l’élevage Davezac. A l’image de sa mère qui avait gagné sept courses à trois ans, BALIZE fut elle même une bonne gagnante en plat (Grand National).
BALIZE n’aura que cinq produits dont deux filles ayant fait souche. BAGATELLE IV (25% par Tetouan) ira fonder une bonne famille dans l’Ouest, celle du champion MATEA LAMBERN, double vainqueur du Grand Cross de Craon.
BALIZETTE, la propre soeur de BALIZE, n’a eu que deux produits. ILLUSION VII (25% par Dionysos II et Balizette) gagnera cinq courses et sera huit fois dans l’argent à Auteuil. AIMEE (Le Correzien et Balizette) ira elle aussi jusqu’à Auteuil avec succès et cumulera pas moins de douze victoires et dix sept places. Au terme de sa carrière elle intégrera l’effectif de l’élevage Delage où elle ne donnera que trois produits.
IRISH COFFEE (Fast et Aimée) fut second du Critérium des Jeunes et troisième du steeple chase national des Anglo-Arabes. Sa soeur ALTARAZA (Jolie Mars et Aimée) sera une toute bonne recrue pour l'entraînement Macaire (seize victoires douze places en trente et une sorties pour 160.000 euros de gains). Battue “encolure” par la toute bonne BRUNE D’EX sur 2300 mètres à Royan elle sera également gagnante du Grand National (deux fois) mais aussi du Grand Prix des Anglo-Arabes.
Au haras elle donnera ULZAMA (12,5% par Royal Charter) qui sera des plus réguliers avec 2 victoires et 7 places en 9 sorties face aux purs à Auteuil et Pau.
Irish Coffee (casaque Jacques Détré) gagne sur cette image sa première course à Dax en haies le 22 mai 1993 devant Saint Mayrand, portant la casaque de Pierre Jean Delage
Trois transfuges de choix issues de la souche Lestorte
Il serait sans doute trop long dévoquer l’ensemble des bons pur sangs nés dans cet élevage (CREATIVE, BOWLER HAT, CALIZZANO…) mais en se cantonnant aux Anglo-Arabes il convient tout de même d’évoquer une autre souche, beaucoup plus célèbre cette fois ci.
Par l'intermédiaire de Jean Dasque, l’élevage Delage récupéra trois juments en provenance de l’écurie du Comte Amaury de Bigault de Cazanove. Ces dernières, DJAFLOR (Djainor et Corafleur par Le Correzien), TITANE II (Dionysos II et Tiphaine par Stymphale) et FLOREZE (Le Correzien et Toscafleur par Montfleur), étaient issues de la célèbre souche Lestorte.
FLOREZE donnera MONTARENO (25% par Le Fastabibi) qui fut un modèle de régularité en cross country (2 victoires 35 places 98.000 euros de gains). DJAFLOR produira le célèbre SARAKO (12,5% par Graveron) deux fois champion de france de cross country avec en particulier des victoires dans le Grand Cross de Craon, le Grand Cross de Fontainebleau, de Pompadour… soit un total de 294.000 euros acquis en 11 victoires et 20 places.
TITANE II sera quand à elle la mère de GYPSO (25% par Le Correzien) qui s’imposera trois fois à Auteuil pour 94.479 euros de gains. Son propre frère SAINT MAYRAND sera lui aussi placé à Auteuil et gagnant face aux AQPS en obstacle.
Gypso, né en 1986, a comptabilisé 7 victoires et 5 places de 3 à 6 ans
Saint Mayrand, né en 1990, n'a couru qu'à 9 reprises pour 5 victoires et 3 places
Un patrimoine génétique exceptionnel
L’étude des différentes souches ayant marqué l’élevage Delage laisse entrevoir le remarquable vivier d’aptitude au saut que cette famille a su cultiver. On y trouve pêle-mêle des courants de sang Anglo-Arabes aussi rares que confirmés.
Alors que ce n’était pas encore l’usage, le croisement en vue de produire des 12,5% fut pratiqué avec succès et les chevaux produits sur place, qu’ils soient Anglo-Arabe à 25%, à 12,5% ou AQPS issus d’Anglo ont su faire feu de tout bois en obstacle dans les meilleures épreuves. Alors que l’heure de la retraite approche pour Pierre Jean Delage, ce dernier recroise ses juments avec des étalons Anglo-Arabes afin de conserver ce patrimoine génétique unique, garant d’aptitude au saut, qui ne manquera pas de continuer à produire des gagnants à tout les niveaux.
Jean D'Ormesson a dit « La plus haute tâche de la tradition est de rendre au progrès la politesse qu'elle lui doit et de permettre au progrès de surgir de la tradition comme la tradition a surgi du progrès ». Il y a dans ce trait d’esprit l’essence même du dialogue fructueux qui doit s’installer entre progrès (le 12,5% et le Grand Show de l’Anglo-Arabe de Course à La Teste) et tradition (l’irremplaçable socle génétique que constituent les 50%).
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