L’épopée Lestorte où comment un paysan Béarnais de l’après guerre s’est fait un nom dans l’élevage des galopeurs, de Pau à Paris, de Tokyo à Abu Dhabi… Naisseur des chefs de race Thalian et Djerba Oua, Emile Lestorte fait encore parler de lui, près de 50 ans après sa disparition…
Là où la plaine de Gascogne laisse place aux Pyrénées naissantes, l’Espagne est proche et les collines du Béarn sont riches d’une terre que les orages montagnards arrosent abondamment. Ici le Rugby est dans son fief (Biarritz, Bayonne, Lourdes, Dax, Auch, Tarbes, Pau… sont dans un rayon de 150 kms). Ce sport rugueux remet en scène chaque semaine une tragédie qui sublime le combat physique. Cette lutte d’une grande dureté agit comme un catalyseur émotionnel. En 90 minutes le stade est traversé par une succession de sensations et d’émotions fortes : l’espoir, la peur, la joie, le courage, la douleur, les larmes, la fraternité, le succès, la défaite…
Emile Lestorte, sous bérêt, après la victoire de Damoiselle V.
Les courses et le Sud Ouest, une histoire d’amour plus que centenaire :
A lui seul ce sport laisse deviner la psychologie des gens du Sud Ouest qui l’ont promu au rang de « quasi religion ». Comme le rugbyman le galopeur est un battant. Il lutte dans l’âpreté des derniers mètres qui le séparent du poteau. Comme le Rugby les courses de chevaux ont été acclimatées par les Anglais dans la région. Il y a dans ces deux traditions bien vivantes le même attrait pour les êtres magnifiés par l’effort, la même dimension esthétique, la même recherche d’une charge émotionnelle, le même respect pour le beau geste, la même dévotion pour ceux qui ont su se distinguer dans l’arène.
C’est dans ce contexte, dans ce terreau rural façonné par la passion des gens du Sud, qu’une filière locale s’est progressivement développée à partir de la seconde partie du 19e siècle.
Verso II, un grand champion pur-sang élevé dans le Sud-Ouest.
La genèse de l’élevage Lestorte trouve son origine dans la ferveur hippique qui animait le Sud Ouest de l’époque. De la vallée de l’Adour et son bassin jusqu’au piémont Pyrénéen, on élevait avec passion des Arabes, des Anglo-Arabes, des Pur Sangs ainsi que des demi-sang Anglo-Arabes pour la remonte qui achetait des milliers de chevaux tout les ans. Partout les hippodromes fleurissaient et les produits du cru étaient indéniablement d’une très grande qualité. On produisait là une bonne partie des meilleurs Arabes et Anglo-Arabes ainsi que de très bons purs sangs qui allaient jusqu’à s’emparer des plus belles courses sous le nez des Parisiens médusés (Quicko et Verso II gagnants du Jockey Club…).
Tetouan battant Fox Trot II. Il deviendra un grand étalon.
La plus grande crise de l’histoire du cheval de sang :
La fin de la remonte, l’évolution de l’utilisation des surfaces agricoles et la seconde guerre changèrent la donne. Les sports équestres étaient alors naissants et n’offraient qu’un faible débouché. Les chevaux de sang étaient tout simplement devenus quasi inutiles et inventables car sans utilisation. Seuls les plus solides et les plus passionnés des éleveurs poursuivirent leur activité au-delà de cette sombre période. Les courses et les quelques achats d’étalons les y aidèrent.
Le Commandant Martin écrivait en 1949: « Les poulinières disparaissent à grand pas. Quelques unes des meilleurs ont été achetées par des marchands et vendues à des acheteurs étrangers, d’autres ont été données au baudet ou au postier breton. Il m’a été permis de voir dans un village voisin de Tarbes, à Soumoulou, une belle jument anglo-arabe. Princesse du Sang, fille de Danube Bleu, suitée d’un muleton, d’ailleurs fort bien réussi. Il n’est que de suivre les champs de foire pour se rendre compte de l’agonie de notre élevage. Juments, poulains de 6 mois, 1 an, 2 ans, y sont nombreux et n’ont d’autres acquéreurs que les bouchers ».
Thalian, un chef de race qui présentait un modèle et une expression hors du commun.
De même il écrit au sujet du Prix de l’Elevage précédant les achats du service des Haras: « Tetouan a fait triompher les couleurs de M. Lestorte, un de nos meilleurs éleveurs du Sud Ouest et des plus connus. Il a pris la tête dès le premier tournant et a gagné sans jamais avoir s’employer. A moins d’un accident, sa victoire était certaine. Tetouan est un performer de choix ».
En pleine crise, la famille Lestorte avait pris le pari de la qualité. Un pari gagnant. Le crack Tetouan fut un grand étalon.
Adrien CUGNASSE